Un chef d'œuvre inédit de Jusepe de Ribera, découvrez son histoire....



 



Jusepe de RIBERA (Jativa 1588 - Naples 1656)
Saint Pierre repentant
Toile
Signé et daté en bas à gauche : « Jusepe de Ribera espanol F/ 1638»
Hauteur : 76 cm
Largeur : 64 cm
Cadre d’origine en bois mouluré et doré, travail italien du 17ème.

Provenance:
- Collection du Cardinal Flavio Chigi (1631-1693) comme l’indique un cachet de cire présent sur un fragment du châssis d’origine qui sera remis à l’acquéreur.
- Collection Blaise Léon Rochette de Lempdes (1809 - 1876);
- Puis par descendance jusqu’à nos jours.

Nous remercions monsieur Antoine Lescop de Moÿ pour l’authentification du cachet de cire.

 

Le tableau est décrit dans l’inventaire du palais Chigi ai Santi Apostoli à Rome (aujourd’hui palais Chigi-Odescalchi), vers 1670/1679 : «Un quadro tela di p.mi tre cornice tutta dorata, et intagliata con una mezza figura di un San Pietro piangente con le mani piegate, mano dello Spagnoletto » (cité p.79 dans Francesco Petrucci, Quadri napoletani della collezione Chigi: Ribera, Rosa, Gior­dano e altri , in Gli amici per Nicola Spinosa, sous la direction de F. Baldassari, M. Confalone, Ugo Bozzi Editore, Roma 2019, pp. 74–85). Il est ensuite mentionné dans l’inventaire de Flavio Chigi de 1692 et dans celui de son cousin, Agostino Chigi, en 1698.

Flavio Chigi (fig.1) est fait cardinal par son oncle le pape Alexandre VII (Fabio Chigi 1599-1667) en 1657 à 25 ans. Il mène une brillante carrière au sein de la Curie. Il vient en France en mission auprès de Louis XIV en 1664 et lui donne la Bataille héroïque de Salvator Rosa aujourd’hui au musée du Louvre. Il commande à Francesco Trevisani en 1687 et 1688, entre autres oeuvres, deux retables pour la cathédrale de Sienne. Sa prestigieuse collection d’oeuvres d’art comprenait sept toiles de Ribera dont la Madeleine en méditation (collection privée, vers 1620).

Lorsqu’il signe et date de 1638 ce tableau, Ribera est âgé de 47 ans. Il est alors au sommet de son art et considéré comme le peintre majeur de Naples. Il vient de peindre, un an auparavant, les célèbres Appolon et Marsyas (deux versions Bruxelles, musées royaux des Beaux-Arts et Naples, Capodimonte), et la Pietà de la Chartreuse de san Martino. en 1638, il réalise le Portrait du maître de chapelle (Toledo Museum of art) et La vieille usurière (Madrid, musée du Prado) et reçoit la commande de la décoration de la nef de ce même monastère de san Martino. C’est justement aux prophètes Moïse et Élie de ce cycle pictural que nous pouvons comparer notre oeuvre.

L’apôtre Pierre est saisi dans une forte expression de regret. Il prend conscience de son reniement du Christ (Évangiles selon Matthieu 26-34 ; Marc 14-30 ; Luc 22-34 ; Jean 13-38). La composition est construite sur une diagonale dynamique ascendante allant des clefs au mains jointes en prière puis au visage. Cet oblique est accentué par le manteau jaune d’or qui occupe l’angle droit en dessous. Les yeux sont rougis et une larme presque imperceptible coule sur la joue. L’écriture serrée du pinceau creuse des sillons, capte la lumière, décrit chaque poil du visage ou chaque ride, alors que la brosse se fait plus dynamique dans le manteau. Les empâtements qui accrochent la lumière donnent une forte vivacité au visage, traité presque comme un portrait (comme le fera Rembrandt dix ans plus tard, pour ses figures à mi-corps). Le spectateur est en face à face direct avec le modèle, frappé par son humanité.

Une composition très proche de la nôtre, où le personnage est cadré de façon plus rapproché et incliné de façon un peu différente, appartient au musée Soumaya de Mexico (fig.2).

Une copie, peut-être d’atelier, rognée sur les côtés (sans les clefs), est conservée au musée de Carcassonne (fig.3).

Le sujet de saint Pierre revient régulièrement dans la carrière de Jusepe de Ribera, presque aussi souvent que saint Joseph et un peu moins que saint Jérôme, ce qui témoignent de la forte demande pour ces saints intercesseurs dans la piété hispanique de la Contre-Réforme (les autres peintres du 17e siècle les ont aussi souvent repré­sentés).

On connait une vingtaine de représentations de l’apôtre Pierre par Ribera à mi-corps et une dizaine, où le saint est représenté en entier. L’artiste varie à chaque fois la pose et l’expression des sentiments. Citons parmi elles :

- Les larmes de saint Pierre, New York, The Metropolitan Museum of Art, vers 1612- 1613 (fig.4) ;

- Saint Pierre et saint Paul, Strasbourg, Musée des Beaux-Arts, vers 1615-1616 ;

- Saint Pierre pénitent ; Collégiale de Osuna, musée paroissial, vers 1621 ;

- Les larmes de saint Pierre, Milan, collection Koelliker, vers 1630 ? ;

- Saint Pierre, Madrid, musée du Prado, en pendant d’un saint Paul, 1632 ;

- Saint Pierre pénitent, Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage, vers 1636-1638 ;

- Saint Pierre debout, Vittoria, Museo de bellas artes de Alava ;

- Saint Pierre tenant un livre, Jacksonville, Cummer Museum of Art.

On retrouve dans notre toile le contraste entre obscurité et lumière, hérité du Cara­vage. Vers 1630 -1640, le réalisme, le clair-obscur brutal de ce mouvement passent de mode. Ribera évolue et atténue légèrement le naturalisme des débuts et porte plus d’attention aux émotions des personnages qu’il traduit par des choix chromatiques plus lumineux. Ses apôtres ne sont plus présentés de façon frontale, mais en mou­vement. Notre tableau s’inscrit dans le virage «néo-vénitien» du peintre, ouvert aux nouvelles tendances artistiques baroques entre Rome, Gènes et Palerme. Il sera suivi par la jeune génération de peintres napolitains comme Stanzione, Cavallino et Antonio de Bellis qui apportent plus d’élégance, mais moins de piété.

Nous remercions le professeur Nicola Spinosa pour avoir confirmé l’attribution à Ribera de cette oeuvre et pour les informations qu’il nous a données et qui ont servi à la rédaction de cette notice.

Une lettre du professeur Nicola Spinosa en date du 2 octobre 2021 sera remise à l’acquéreur.

Bibliographie de la version du musée Soumaya à Mexico, la nôtre étant inédite:

Nicola Spinosa, L’opera completa del Ribera, Classici dell’Arte, Rizzoli Editore, Milano 1978, p.134, n°333.

Nicola Spinosa, Ribera. L’opera completa, Electa, Napoli 2003(prima edizione), p.276, n°A79 02; 2006 (seconda edizione) p.300, n°97.


EXPERT:
Cabinet Eric Turquin